Actu Environnement publie un article sur les effets sur la Directive CSRD sur la stratégie des entreprises en matière de biodiversité :
« Nous sommes à un carrefour : soit l'économie française pivote et se transforme sur la base d'une nature respectée, protégée et restaurée, soit notre économie s'expose à un risque d'effondrement », a alerté la secrétaire d'État chargée de la Biodiversité, Sarah El Haïry, le 29 novembre à l'occasion du lancement d'une initiative à l'attention des acteurs économiques.
Si un certain nombre d'entre eux ont déjà intégré la biodiversité dans leur stratégie en raison de leur dépendance directe à des matières premières sur lesquelles planent des menaces, comme le bois ou le cacao, d'autres entreprises n'y viennent qu'aujourd'hui. Soit par une prise de conscience plus tardive, soit sous la pression réglementaire, en particulier de la directive CSRD qui impose la production d'un rapport de durabilité à compter de l'exercice comptable 2024.
« Les entreprises qui souhaitent intégrer la biodiversité dans leur modèle d'affaires peuvent le faire de différentes façons complémentaires. Il existe des outils réglementaires, des cadres internationaux ou encore des systèmes de labélisation de leurs démarches », explique le ministère de la Transition écologique.
La première difficulté est celle de mesurer l'impact, direct et indirect, de son activité sur la biodiversité. Plusieurs outils de mesure ont été développés. Dans un rapport publié en mai 2021, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) identifiait, en collaboration avec l'Office français de la biodiversité (OFB), sept outils opérationnels, même si elle les jugeait insuffisants compte tenu de la complexité du vivant. Il s'agit des outils suivants : Product Biodiversity Footprint (PBF), Product Biodiversity Footprint for Financial Institution (BFFI), Global Biodiversity Score (GBS), Biodiversity Impact Metric (BIM), Species Threat Abatement and Recovery (Star) Metric, Biodiversity Indicator for Extractive Companies (BIEC), Biodiversity Indicator and Reporting System (BIRS).
Parmi ceux-ci, le Global Biodiversity Score (GBS) est un outil, développé depuis sept ans par CDC Biodiversité, grâce auquel les entreprises et les institutions financières peuvent mesurer leur empreinte sur la biodiversité. « Calculer l'empreinte biodiversité d'une entreprise ou d'un acteur financier via le GBS, revient à établir un lien quantitatif entre ses activités directes et/ou sa chaîne de valeur, et des impacts sur la biodiversité », explique la filiale de la Caisse des dépôts. L'impact de ces pressions sur la biodiversité est converti en une métrique : la Mean Species Abundance par kilomètre carré (MSA.km²). « Cela permet de se comparer dans le temps et d'une entreprise à l'autre », explique Marianne Louradour, présidente de CDC Biodiversité. L'outil permet aussi de s'aligner sur les objectifs internationaux et sur la réglementation, explique l'entreprise.
Il est aujourd'hui connu que la mesure de l'impact des activités sur la biodiversité est beaucoup plus difficile à établir que sur le climat. Les entreprises peuvent être tentées d'arguer de cette difficulté pour ne pas agir. Pour Christophe Viret, directeur de la mobilisation de la société à l'Office français de la biodiversité (OFB), cette difficulté ne doit pas être le sujet. « Le sujet, c'est la prise de conscience. Il faut dépasser la question de la métrique et ne pas en faire un préalable à l'action. Les solutions sont dans l'entreprise », estime le représentant de l'établissement public.
Ce dernier propose un cadre d'engagement volontaire à travers l'initiative Entreprises engagées pour la nature. Le programme a pour ambition de « faire émerger, reconnaître et valoriser des plans d'action d'entreprises ». Il s'adresse aux « entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d'activité, initiées ou débutantes en matière de biodiversité et qui veulent s'engager concrètement ». Après leur adhésion, elles disposent d'une année pour formaliser un plan d'action pluriannuel, explique Christophe Viret. Elles bénéficient ensuite d'un accompagnement de l'OFB pendant deux ans. Les progrès accomplis sont évalués la troisième année et pourront donner lieu à l'obtention d'un des trois niveaux de reconnaissance. Celle-ci permet notamment d'intégrer ses actions dans sa stratégie RSE, de bénéficier de la communication des pouvoirs publics sur cette initiative, mais aussi de partager son expérience au sein d'un club des engagés. Un club dont le nombre de membres reste modeste, puisque seulement 200 entreprises sont engagées dans l'initiative. La nouvelle Stratégie nationale pour la biodiversité, présentée le 27 novembre dernier par le Gouvernement, fixe l'objectif de 5 000 entreprises engagées ayant présenté un plan d'action ambitieux en 2030.
D'autres outils d'action, à vocation plus internationale, existent. C'est le cas de la Task Force on Financial Nature Related Disclosures (TNFD), un cadre international volontaire destiné à aider les acteurs économiques à identifier et à rendre compte des risques liés aux menaces sur la biodiversité. « Cette initiative fournit une grille de compréhension des impacts et de la dépendance à la biodiversité », résume Nathalie Borgeaud, Lead Financial Markets Engagement à la TNFD. Pour cela, elle propose un ensemble de recommandations et d'orientations pour que les entreprises et les acteurs financiers 'intègrent la nature dans leur prise de décisions. L'approche de la TFND se veut cohérente avec celle de la Task Force on Climate Related Financial Disclosures (TCFD) qui prend, quant à elle, en compte les risques liés aux changements climatiques.
La Science Based Targets Network (SBTN), de son côté, est une initiative qui vise à transformer les systèmes économiques dans le respect des limites biologiques et planétaires, explique Ciprian Ionescu, chef du service capital naturel au WWF France. Rassemblant des experts de plus de 60 ONG, associations professionnelles et cabinets de conseil, le réseau propose des objectifs « mesurables, réalisables et limités dans le temps » basés sur les meilleures données scientifiques disponibles. Pour les entreprises, ses lignes directrices définissent cinq étapes distinctes, explique M. Ionescu, qui débutent par la mesure des impacts sur l'intégralité de la chaîne de valeur. Un exercice difficile de l'avis des différents spécialistes. « Un retour sur plus de 200 pilotes montre une forte méconnaissance des cinq pressions sur la biodiversité identifiées par l'Ipbes », témoigne Nathalie Borgeaud, de la TFND. Les autres étapes de la démarche SBTN ne sont pas évidentes pour autant. Elles consistent à donner la priorité aux actions sur les points les plus sensibles pour la biodiversité, puis à collecter des données sur les cibles prioritaires et à définir ses objectifs. Ensuite vient l'étape de la mise en place de plans d'action, dont le suivi sera réalisé par des vérificateurs et donnera lieu à un rapport public.
Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour que les initiatives engagées soient couronnées de succès. De l'expérience Entreprises engagées pour la nature, Christophe Viret identifie plusieurs facteurs de réussite : travailler en priorité sur son cœur de métier, ne pas se limiter à la RSE, impliquer la direction, mettre les moyens humains et financiers nécessaires, et embarquer dans la démarche salariés, fournisseurs et clients. « Un portage opérationnel au plus haut niveau (Comex) est nécessaire, ainsi qu'un rapprochement des directions chargées du développement durable et de la stratégie », confirme Ciprian Ionescu. Sans oublier, ajoute le représentant du WWF, une jonction entre les secteurs publics et privés, afin d'associer les parties prenantes comme les associations ou l'agriculture.